« Ricardo Flores Magón, le rêveur en éveil » (A Contretemps, 13 juin 2019)

« Ce livre, nous prévient d’entrée Américo Nunes, n’est pas une « biographie historique » de Ricardo Flores Magón (1873-1922), mais un « essai politique » sur un acteur emblématique d’un moment inaugural « proprement communiste » qui, de 1900 à 1912 et traversant diverses phases, travailla, sur le front d’un peuple du Mexique fait de divers peuples, à réaliser, dans l’imaginaire et dans la pratique, la « confluence entre révolution paysanne et révolution ouvrière ». Et c’est bien de cela dont il s’agit : une impressionnante plongée historico-critique dans l’imaginaire politique et sensible d’un des personnages les plus profonds et les plus ignorés d’une époque où, en terre mexicaine, la guerre des pauvres accoucha de géants.

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Une histoire faite de plusieurs histoires

Fin connaisseur de cette histoire du Mexique insurgé, l’auteur avait, dans un précédent ouvrage [Les Révolutions du Mexique, Ab irato, 2009], brillamment défendu la thèse que ladite révolution mexicaine n’était saisissable que dans sa multiplicité, dans cette constellation d’imbrications des origines qui, sur le temps long et dans un espace historique, géographique et sensible donné, favorisa ou empêcha la convergence de poussées émancipatrices, complémentaires ou contradictoires selon les cas. La grande originalité de son approche, notions-nous alors, pouvait se résumer à deux points : d’une part, la perspective qu’il adoptait, celle des vaincus, si chère à Walter Benjamin ; d’autre part, une lecture du temps et de l’espace de ces « révolutions » mexicaines désencombrée de toute simplification abusive et postulant, plus largement, la pluralité et la complexité des phénomènes révolutionnaires. C’est ainsi que l’auteur affirmait, en marxien conséquent, que ces phénomènes avaient mis en branle des groupes sociaux très différents et porteurs d’intérêts radicalement antagonistes. Au fil du temps, ces groupes conjuguèrent leurs efforts – contre Porfirio Díaz (1830-1915), d’abord, puis contre Victoriano Huerta (1850-1916) – avant de s’affronter au très contrasté mouvement révolutionnaire mexicain dans une guerre civile interne s’achevant, le 1er mai 1917, par la victoire – provisoire – de Venustiano Carranza (1859-1920). Cette approche d’Américo Nunes, qu’il assumait au passage comme gramscienne, avait pour principal mérite de dépasser les clivages interprétatifs traditionnels. Cette révolution, nous disait-il, fut surtout paradoxale, tout à la fois libérale et socialiste, populaire et petite-bourgeoise, agraire et urbaine, restauratrice et moderniste. Elle libéra des forces authentiquement révolutionnaires – zapatistes, villistes, magonistes – qui, elles-mêmes, furent incapables de surmonter leurs propres différences sociales entre paysans-prolétaires, ouvriers de métier et prolétaires industriels. Au terme d’une lutte acharnée, concluait Américo Nunes, anarchiste de cœur pour le coup, la révolution, devenue « une », se militarisa, s’étatisa, mettant un terme, de manière violente, au processus révolutionnaire. En face restèrent les vaincus, ceux qui avaient rêvé de terre et de liberté, avec Emiliano Zapata et Ricardo Flores Magón, ces vaincus dont l’histoire, faite toujours de plusieurs histoires, est infiniment susceptible de « venir trouer la trame linéaire du Temps ». Car, comme l’écrivit Gustav Landauer, « lorsqu’une révolution éclate à nouveau, elle se souvient généralement de tous ses ancêtres » (La Révolution, 1907) qu’elle convoque, sans même le savoir le plus souvent, au nouveau banquet de l’histoire. […]  »

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Freddy Gomez
A Contretemps