Désertiques

Un livre de Benoit Meunier,
ISBN 978-2-911917-81-3
115 x 165 mm / 96 pages
12 €

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Sur le livre

Comment s’échapper des pièges du quotidien – même insignifiants en apparence, comment trouver la sortie ?
Désertiques est un triptyque de trois nouvelles situées chacune dans un espace/temps indéfini, où le protagoniste est en butte à la solitude et l’absurdité de l’existence, où il se trouve enfermé.
Dans ces récits labyrinthiques, ponctués de rebondissements à la lisière du fantastique, un même dénouement libérateur verra le personnage s’échapper.
Ce recueil est une réflexion poétique et ironique sur notre quotidien, et peut-être, aussi, un éloge de la fuite et de la révolte.

Sur l’auteur

Benoit Meunier est né à Lyon en 1977, il vit à Prague depuis 2004. Il enseigne le français et traduit du tchèque des livres de genres divers (romans, poésie, bande dessinée, jeunesse, dont Les aventures du brave soldat Svejk de Jaroslav Hasek en Folio classique, 2018). Il a publié des poèmes et des textes en prose dans plusieurs revues et prépare un recueil de poésie, Monodies, chez l’Atelier du Hanneton

Extraits

Il dit : la tortue, je l’ai rencontrée lors d’une tentative de départ, à quelques heures de marche de la montagne. De loin, je l’ai d’abord prise pour une grosse pierre, mais il se trouvait que mes pas me portaient vers elle, et j’ai remarqué en passant sa forme exceptionnellement arrondie. Elle se dirigeait vers la montagne d’un pas placide. J’étais si fasciné par la lenteur extrême de ses mouvements que je me suis mis en route à ses côtés, marchant à la même allure qu’elle. Je lui ai expliqué le but de mon périple. Mes paroles aussi ralentissaient. Nous avons progressé ainsi pendant des jours. Pour ne pas devoir m’arrêter et attendre la tortue tous les trois pas, j’ai dû procéder à un vaste réglage de mes mouvements sur les siens : je ne déplaçais les pieds que sur une distance très courte, quelques centimètres, et en plusieurs secondes. Ainsi, nous progressions au même rythme, la tortue et moi, quasi figés. Il n’y avait plus un souffle de vent, et je crois que le soleil lui-même s’était arrêté au milieu de la voûte céleste. Nous étions minéraux. Seuls des sons brisaient l’immuable : je parlais avec la tortue ; j’articulais patiemment des mots étirés, des mots écrasés au rouleau compresseur, dont les consonnes s’aplanissaient et les voyelles tombaient dans les basses. Et la tortue me répondait sur un mode similaire, par de longs souffles rauques et profonds qui me rappelaient tantôt la note ronde qu’émet une bouteille lorsqu’on expire perpendiculaire-ment au goulot, tantôt le chuintement monotone des pluies d’orage. Nous étions telles des statues, unis dans notre immobilisme. Nous parlions du désert, de la montagne, du lac salé, de sa vie de tortue. Nous avons mis trois semaines à rejoindre la montagne. Depuis, elle vaque dans les environs, et fait parfois des escapades de quelques jours. (La montagne)

La carapace du scarabée se divise en deux parties bombées. Elle est d’un noir intense, et parcourue de reflets vermillon. La partie avant, qui figure une tête obsessionnelle et aveugle, est presque plus grande que le corps et surmontée d’une corne fière et retroussée ; le tout produit une impression de force et d’élégance rehaussée d’un entêtement inquiétant, vaguement porcin. Je commence à distinguer une régularité dans les crissements que l’insecte produit : certaines phases semblent revenir, quoiqu’à de longs intervalles aléatoires. Je parle souvent au scarabée. Il m’écoute sans vraiment réagir. (La montagne)

Il est vrai qu’il ne passe jamais personne ici, ou presque ; l’endroit est désert, morne et figé. Les seuls bruits qui déchirent le silence, comme l’éboulement de quelques rochers sur le flanc du coteau, derrière la cabane, une bourrasque de vent qui fait vibrer des tôles, les grattements d’un lézard qui s’enfuit parmi les herbes sèches ou les sempiternels grincements de ma chaise à bascule, tous ces phénomènes sont plutôt anodins. Il ne passe jamais personne, ou presque : j’entrevois parfois des formes vagues, des silhouettes qui se glissent rapidement, au crépuscule, derrière les murs ; j’aperçois régulièrement un individu louche dont la barbe antipathique dissimule certainement un menton, celui de qui ? voilà ce que je serais bien en peine d’affirmer, mais je tâcherai d’y remédier, je serai à l’affût dans ma chaise à bascule, je débusquerai celui qui rôde autour de ma cabane, quoique ses apparitions ne soient, certes, pas fréquentes, une ou deux fois par an tout au plus, et que je ne sois plus en mesure de faire aucun mouvement, ou presque, il est vrai, à part me balancer, hocher la tête ou me gratter les genoux. (La station-service)

J’ai souvent tâché de passer en revue les principales hypothèses relatives à la présence d’un homme de cet âge et de cette corpulence, de nationalité indéfinissable, si tant est qu’il en ait une, dans les environs : le Ministère de l’essence pure aurait pu l’envoyer pour contrôler mon débit de carburant ou mon âme indifféremment, le trésor public pour lever des taxes, toute autre institution pour contrôler, étudier, stimuler, relever ou limiter ; on aurait pu l’envoyer dans le but de m’aider, me seconder, prendre la relève, me donner à boire ou tailler mes cactus, mais il ne semble pas faire attention à moi, et ces pistes sont donc à exclure ; il au-rait pu venir de son propre chef pour explorer la zone ou me voler des affaires, mais alors pourquoi reviendrait-il régulièrement, et sans rien emporter ? Il aurait pu lire l’annonce que j’avais moi-même lue quarante-trois ans auparavant, penser qu’elle était encore valable et décider de postuler ; mais le plus probable est qu’il se soit égaré et qu’il revienne régulièrement vers la station-service malgré ses tentatives de s’en éloigner. Je devrais lui dire de suivre les rails vers l’est. (La station service)

Désertiques de Benoit Meunier est référencé sur Babelio

Critique(s)

[AUDIO] Radio campus Lille / émission littéraire Paludes de Nikola Delescluse sur « Désertiques » de Benoit Meunier (1er juillet 2022).

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