A ContreTemps, bulletin de critique bibliographique, numéro 36 – janvier 2010
Americo Nunes, Les Révolutions du Mexique,
réédition augmentée, gravures de Posada, Paris,
Ab irato Éditions, 2009, 240 p., ill.
Pour qui s’intéresse à l’histoire sociale du Mexique, cette réédition de l’ouvrage fondamental d’Americo Nunes, épuisé depuis longtemps, tient de l’événement éditorial majeur. Et ce d’autant qu’elle est augmentée d’une longue et passionnante postface de l’auteur explorant les nouvelles pistes de recherche ouvertes entre la fin des années 1970 et aujourd’hui. La grande originalité de l’approche historique d’Americo Nunes peut se résumer en deux points: d’une part, la perspective qu’il adopte est celle des vaincus, qui fut si chère à Walter Benjamin ; d’autre part, sa lecture des «révolutions» mexicaines, qui embrasse le «temps long» de l’histoire, se garde toujours de céder à toute simplification abusive pour souligner, au contraire, la pluralité et la complexité des phénomènes révolutionnaires.
Ainsi, à propos des événements qui bouleversèrent le Mexique entre 1911 et 1917, Americo Nunes note qu’ils ne furent pas constitutifs d’«une» révolution, comme l’a retenu la légende et répété l’histoire officielle, mais de «plusieurs révolutions» mettant en branle des groupes sociaux très différents et porteurs d’intérêts radicalement antagonistes. Au fil du temps, ces groupes conjuguèrent leurs efforts contre Porfirio Díaz, d’abord, puis contre Victoriano Huerta avant de s’affronter en une guerre civile interne au très contradictoire mouvement révolutionnaire mexicain, guerre civile s’ achevant le 1er mai 1917, par la victoire – provisoire – de Venustiano Carranza.
L’approche dialectique d’Americo Nunes, qu’il assume au passage comme gramcienne, a pour principal mérite de dépasser les clivages interprétatifs traditionnels qui opposent ses divers analystes. Cette révolution, nous dit-il, fut surtout paradoxale, tout à la fois libérale et socialiste, populaire et petite-bourgeoise, agraire et urbaine, restauratrice et moderniste. Elle libéra des forces authentiquement révolutionnaires zapatistes, villistes, magonistes – qui, elles-mêmes, furent incapables de surmonter leurs propres différences sociales entre paysans-prolétaires, ouvriers de métier et prolétaires industriels. Au terme d’une lutte acharnée, affirme Americo Nunes, «ce qui s’est passé au Mexique, ce fut la militarisation de la révolution. Un phénomène identique eut lieu au XXe siècle au cours de toutes les guerres civiles. La militarisation de la Révolution mit un terme, de manière violente, au processus révolutionnaire. La Révolution s’est étatisée.» En face restèrent les vaincus, ceux qui avaient rêvé de terre et liberté. avec Emiliano Zapata et Ricardo Flores Magón, ces vaincus dont l’histoire peut encore «venir trouer la trame linéaire du Temps». Un très grand livre, que complètent une chronologie des «révolutions» du Mexique et une bonne bibliographie. – J. F.
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Americo Nunes
Les révolutions du Mexique
240 pages – 15 €
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